Développement et Santé

Quand les crises jouent sur le mental

L’inflation, la guerre en Ukraine et le coronavirus continuent de peser sur nos vies. La multicrise a des conséquences sur notre psychisme et les états dépressifs augmentent. Alessandra Weber, directrice de Kinderseele Schweiz, donne des conseils concrets pour mieux surmonter le quotidien malgré les crises.
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Une femme triste est assise dans un couloir, sur un sol foncé.

Les mois et les années qui viennent de s’écouler ont été très éprouvants pour tout le monde. L’épuisement et le découragement se font sentir. Comment gérer les états dépressifs et le sentiment dʼanxiété provoqués par le contexte du moment?

Alessandra Weber: En effet, beaucoup de gens ressentent cela en ce moment. Le simple fait de savoir que je ne suis pas seul·e et que beaucoup partagent ces sentiments peut aider. La meilleure chose à faire est de se confier, dʼen parler avec les autres. Souvent, les sentiments pesants et les peurs ne font qu’augmenter lorsque nous essayons de les garder pour nous. Dès lors qu’on se livre sur ce que l’on ressent, cette mauvaise énergie accumulée trouve un exutoire, et la pression diminue. 

Les parents sont également soumis à une énorme pression en ce moment. Comment contrer le sentiment dʼêtre dépassé·e, la solitude ou la frustration et lʼagressivité?  

Alessandra Weber: Là encore, il est important d’admettre ouvertement que ces sentiments nous rendent la vie difficile. On peut en parler avec son ou sa partenaire, appeler des ami·e·s et réfléchir à ce qui pourrait aider. À quels moments est-ce que je me sens mieux? Quand je suis au grand air? Quand jʼécoute de la musique? Y a-t-il dʼautres petites choses de ce genre que je peux intégrer dans mon quotidien?  

Que faire quand cela ne suffit pas à aller mieux? Quelles stratégies peuvent aider à ne pas perdre pied? 

Alessandra Weber: Bien souvent, nous nʼosons pas demander de lʼaide aux autres. C’est dommage, car les personnes qui nous entourent nous aident généralement volontiers, Les familles qui se retrouvent débordées par le quotidien devraient demander de lʼaide à leur entourage. Le fils peut par exemple passer tous les mardis après-midi chez son meilleur ami. Ou bien les parents peuvent prendre un jour de congé lorsque les enfants sont à la crèche ou à lʼécole et ainsi en profiter pour passer du temps à deux.  

Si en revanche des pensées et des sentiments pénibles s’installent depuis plusieurs semaines, si ils deviennent trop lourds et que des choses qui d’habitude nous aident nʼapportent que peu de soulagement, il est temps de se tourner vers un.e professionnel.le

Cela peut aider temporairement. Mais cette situation dure depuis déjà longtemps et la fin n’est pas encore en vue. Comment faire pour ne pas se laisser abattre?  

Alessandra Weber: Il est normal de se sentir parfois à bout. Presque personne nʼa réussi à traverser ces derniers mois sans se sentir apathique ou éprouver de la frustration au moins quelques jours, voire deux ou trois semaines. Les inquiétudes sont une réaction naturelle. On a le droit d’en avoir. Je pense qu’il ne faut pas immédiatement s’opposer à ces sentiments, qui ont leur raison d’être. Si en revanche des pensées et des sentiments pénibles s’installent depuis plusieurs semaines, si ils deviennent trops lourds et que des choses qui d’habitude nous aident nʼapportent que peu de soulagement, il est temps de se tourner vers un.e professionnel.le Les spécialistes aideront alors la personne à trouver des solutions pour surmonter cette crise.  

La plupart dʼentre nous ont du mal à sʼadresser à un·e professionnel·le pour des problèmes de santé psychique. Comment réagir lorsque quelquʼun a de forts préjugés concernant lʼaide psychothérapeutique? 

Alessandra Weber: Malheureusement, les idées fausses sur les maladies psychiques sont encore très répandues. Si une personne a de tels préjugés et qu’elle souffre elle-même psychologiquement, cʼest bien sûr difficile pour elle de se tourner vers un·e thérapeute. Qui aurait envie d’être «bizarre»? Tout comme nous tombons malades physiquement, nous pouvons toutes et tous tomber malades psychiquement. Or, presque personne nʼa honte de tomber malade physiquement. Les maladies psychiques sont courantes, elles peuvent être traitées et la plupart des personnes qui en souffrent se rétablissent. Lʼessentiel est de demander de lʼaide. En général, plus vite un trouble psychique est identifié et traité, plus vite on se rétablit. 

Les maladies psychiques sont courantes, elles peuvent être traitées et la plupart des personnes qui en souffrent se rétablissent.

Si les soucis et la détresse prennent le dessus, comment les membres de la famille, les proches et les ami·e·s peuvent-ils apporter leur soutien sans faire pression et aggraver la situation? 

Alessandra Weber: Ils peuvent aborder le problème et offrir leur aide. En y allant avec précaution, et non en disant par exemple: «Je vois bien que ça ne va pas du tout. Tu n’as qu’à te faire aider!» Pour la plupart des proches et ami·e·s de personnes souffrant de troubles psychiques, faire preuve de ménagement nʼest pas si facile. Cela fait mal de voir un être cher souffrir. Et l’on peut ressentir de l’agacement, de l’impuissance ou de la colère si la personne concernée ne veut pas parler de ce qui ne va pas, nʼagit pas ou nʼaccepte pas qu’on l’aide. Malheureusement, je ne peux conseiller que la patience dans une telle situation. Toujours exprimer avec précaution ce que l’on remarque, pourquoi l’on se fait du souci. En espérant que la personne finira par sʼouvrir. On ne peut pas forcer les choses. 

Comment trouver un équilibre entre soutenir et prendre du recul afin de ne pas se retrouver soi-même dans une spirale négative? 

Alessandra Weber: Cʼest une question très importante, car les sentiments sont «contagieux». Bien sûr, je ne vais pas faire une grave dépression moi-même juste parce que mon partenaire en fait une. Ceci dit, les états dépressifs ou lʼanxiété sont perceptibles par les autres. En famille notamment, les sentiments de déprime ou dʼanxiété peuvent facilement se transmettre. Outre la compassion et l’empathie, il est important de se rappeler que l’on peut écouter et proposer de l’aide. Le «travail principal» doit être fait par la personne qui souffre elle-même. Elle seule est responsable de son rétablissement, personne dʼautre. Le bien-être des autres membres de la famille est également important. Souvent, tout tourne autour de la personne malade et les besoins des autres sont complètement oubliés. En réservant des créneaux horaires pour des choses qui font du bien à tout le monde, on contrecarre consciemment cette tendance. 

Kinderseele Schweiz est un partenaire de longue date de Pro Juventute dans son engagement pour le bien-être des enfants et des jeunes en Suisse. Kinderseele Schweiz se focalise sur les familles dans lesquelles un parent souffre de troubles psychiques. 

Mandatée par Pro Juventute, Alessandra Weber, de Kinderseele Schweiz, a révisé le contenu des trois brochures sur le thème des «Parents souffrant de maladies psychiques».